Depuis l’entrée en vigueur d’une loi portant sur l’opposabilité du diagnostic de performance énergétique au 1er juillet 2021, ce document technique joue un rôle majeur dans les transactions immobilières. Un DPE erroné peut désormais compromettre une vente, interdire une mise en location ou engager la responsabilité civile des parties. Face à ces enjeux considérables, il convient de maîtriser les procédures de contestation pour préserver la valeur patrimoniale de votre bien et sécuriser vos droits.
Cet article vous guide pas à pas dans les démarches à entreprendre lorsque vous soupçonnez une erreur dans le diagnostic de performance énergétique de votre bien immobilier, que vous soyez un bailleur confronté à une interdiction de location ou un acquéreur découvrant des consommations énergétiques anormalement élevées.
Le DPE opposable : cadre légal et portée pratique
Genèse et évolution du cadre réglementaire
Le diagnostic de performance énergétique a connu une mutation juridique fondamentale avec la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021. Désormais codifié aux articles L. 126-26 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, le DPE est devenu pleinement opposable au 1er juillet 2021, conformément à la loi ELAN. Antérieurement, le DPE ne revêtait qu’un caractère informatif.
Cette évolution s’accompagne d’un corpus réglementaire dense, notamment l’arrêté du 31 mars 2021 relatif aux méthodes et procédures applicables au diagnostic de performance énergétique et l’arrêté du 25 mars 2024 modifiant les seuils des étiquettes pour les logements de petites surfaces.
La réforme initiée en 2021 a connu plusieurs ajustements qui revoit les seuils applicables aux logements ≤ 40 m² et actualise les tarifs énergétiques.
Obligations des parties et sanctions
Le diagnostiqueur est soumis à une obligation de résultat renforcée. Il doit être certifié par un organisme agréé (arrêté du 20 juillet 2023) et disposer d’une assurance responsabilité civile professionnelle d’un montant minimal de 300 000 € par sinistre et 500 000 € par année d’assurance (article R. 271-2 du CCH).
Le vendeur ou le bailleur porte la responsabilité de faire établir le diagnostic et de le transmettre dans le dossier de diagnostic technique. Tout manquement à cette obligation d’information est passible d’une amende administrative pouvant atteindre 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.
L’acquéreur ou le locataire bénéficie désormais d’un droit à réparation en cas d’erreur manifeste, à l’inverse du régime antérieur où le DPE n’avait qu’une valeur informative.
Enjeux financiers et contractuels
L’opposabilité du DPE ouvre de nouveaux recours juridiques substantiels. En cas d’erreur avérée, les conséquences peuvent inclure la nullité du contrat, la diminution du prix de vente, ou l’allocation de dommages-intérêts pour réparation du préjudice subi.
Détecter un DPE erroné : signaux d’alerte
Incohérences chiffrées manifestes
Le premier signal d’alerte réside dans l’écart entre l’étiquette énergétique attribuée et les factures de consommation réelles. Il s’agit là d’un point d’alerte dans le sens où vous devez vous interroger sur cet écart pour vérifier s’il s’agit uniquement d’une surconsommation liée à votre mode de vie, à vos habitudes ou si cela révèle une problématique d’isolation non prise en compte par exemple.
Les cas particuliers des petites surfaces
L’arrêté du 25 mars 2024 a modifié les modes de calcul des seuils des étiquettes du DPE pour les logements de surface de référence inférieure ou égale à 40 m². Ces logements étaient particulièrement pénalisés par la réforme de 2021, cette nouvelle révision devrait réduire les inégalités. Cette révision, entrée en vigueur le 1er juillet 2024, devrait permettre à 140 000 logements de sortir de la catégorie des passoires thermiques.
La forme du rapport
Le rapport DPE doit uniquement contenir les mentions listées par l’arrêté du 31 mars 2021 (modèle, surface, classe énergie/GES, recommandations, etc.). Les photographies ou relevés thermographiques ne sont pas exigés ; ils peuvent être annexés pour justifier l’analyse, mais leur absence ne suffit pas, à elle seule, à invalider le diagnostic.
Chaque DPE doit obligatoirement être enregistré à l’ADEME, ce qui génère un numéro unique figurant en haut du rapport. Un rapport dépourvu de numéro ADEME ne devrait pas pouvoir être annexé à un acte de vente. Le but de cet enregistrement est d’empêcher toute modification des données.
Si une modification intervient, elle sera ainsi enregistrée également sur le site de l’ADEME dans l’historique du bien.
Check-list des incohérences les plus courantes
Écart supérieur à 30% entre consommation théorique et factures réelles
Classification énergétique incompatible avec l’année de construction et l’isolation
Absence de prise en compte d’équipements récents (pompe à chaleur, isolation renforcée)
Erreur de surface ou de typologie du bien (maison individuelle/appartement)
La phase amiable : priorité à la résolution rapide
Notification au diagnostiqueur
La première démarche consiste à interpeller directement le diagnostiqueur par lettre recommandée avec accusé de réception, en exposant précisément les motifs de contestation. Dans l’hypothèse d’un DPE fourni en vue d’une location, il peut être demandé soit une rectification du diagnostic, soit l’établissement d’un nouveau DPE aux frais du professionnel.
Cette notification doit être circonstanciée et s’appuyer sur des éléments factuels précis, tels que : factures de consommation, caractéristiques techniques du bien, photographies des équipements.
Vérification en ligne et signalement ADEME
L’Agence de la transition écologique met à disposition un outil de vérification permettant de contrôler la cohérence des données saisies. Le site de l’Observatoire DPE-Audit permet également de signaler une anomalie constatée dans un diagnostic.
L’expertise contradictoire : la voie à privilégier
Plutôt que de recourir immédiatement aux procédures de médiation ou de conciliation, il convient de privilégier l’organisation d’un rendez-vous sur les lieux pour une analyse contradictoire avec l’expert choisi par l’assurance du diagnostiqueur.
Cette démarche peut être initiée par lettre recommandée ; l’intervention d’un avocat, bien que vivement conseillée, n’est pas légalement obligatoire à ce stade.
L’intervention de l’assurance responsabilité civile professionnelle du diagnostiqueur offre généralement des perspectives de règlement amiable plus rapides et efficaces que les procédures judiciaires.
Cette expertise contradictoire présente l’avantage de confronter directement les analyses techniques et de permettre, le cas échéant, un protocole transactionnel avec l’assureur dans des délais réduits (6 mois en moyenne).
Le référé-expertise selon l’article 145 du Code de procédure civile
Lorsque la phase amiable n’aboutit pas, le référé-expertise constitue une procédure judiciaire efficace pour objectiver le litige. Cette mesure d’instruction permet de faire procéder, avant tout procès au fond, à une expertise technique par un professionnel inscrit sur les listes d’experts près les cours d’appel.
Le coût de cette expertise est à la charge de la personne qui en fait la demande. Une protection juridique peut permettre d’avancer les frais de cette expertise. Pour obtenir une telle mesure d’instruction, cela suppose l’engagement d’une procédure judiciaire avec la rédaction d’une assignation et la tenue d’une audience. Les délais et coûts de la procédure puis de l’expertise sont variables en fonction des juridictions.
L’expert judiciaire rendra un rapport permettant d’établir les fautes éventuelles et d’analyser également les préjudices chiffrés par le demandeur.
Pièces essentielles à constituer
La pièce principale nécessaire dès les premières négociations est un DPE réalisé par un diagnostiqueur tiers dans les mêmes conditions (diagnostic avant vente, ou diagnostic avant travaux, selon le contexte).
Ce contre-diagnostic doit être établi par un professionnel indépendant, certifié et assuré, en respectant scrupuleusement la même méthodologie que le diagnostic contesté. Il constituera l’élément de preuve déterminant pour démontrer l’erreur manifeste.
Le dossier de preuves doit également comprendre :
Les factures d’énergie sur au moins trois années consécutives ;
Les photographies détaillées des équipements et de l’isolation ;
Les devis de travaux correctifs éventuellement nécessaires ;
Les justificatifs des caractéristiques techniques du bien ;
Les attestations de travaux d’amélioration énergétique réalisés.
Charge de la preuve et articulation avec l’action au fond
Il appartient au demandeur de démontrer l’existence de l’erreur et son impact sur la valeur du bien ou les préjudices subis. L’expertise judiciaire facilite cette démonstration en apportant une analyse technique contradictoire.
Cette mesure d’instruction peut être ordonnée en parallèle d’une action au fond ou constituer un préalable à l’engagement de poursuites judiciaires.
Engager une action judiciaire : modalités et délais
Choix de la juridiction
Depuis la fusion TI/TGI (1ᵉʳ janv. 2020), tous les litiges immobiliers relèvent du tribunal judiciaire ; une « chambre de proximité » traite simplement les dossiers ≤ 10 000 €, sans constituer une juridiction distincte.
Le recours à un avocat spécialisé en droit immobilier est vivement recommandé compte tenu de la technicité de ces dossiers et de l’évolution constante de la jurisprudence.
Fondements juridiques de l’action
Plusieurs fondements peuvent être invoqués selon les circonstances :
Le vice caché (articles 1641 et suivants du Code civil) : applicable lorsque l’erreur de diagnostic dissimule un défaut grave du bien, antérieur à la vente et inconnu de l’acquéreur. Cela suppose la démonstration de la connaissance du vice par le vendeur.
Le dol (article 1137 du Code civil) : caractérisé lorsque le vendeur avait connaissance de l’inexactitude des informations transmises et a volontairement induit l’acquéreur en erreur.
La responsabilité contractuelle : fondement applicable à l’encontre du vendeur ou bailleur qui a délivré une information erronée à l’acquéreur ou locataire. Une faute doit être démontrée en lien avec le préjudice subi.
La responsabilité délictuelle (article 1240 du Code civil) : permet à l’acquéreur d’agir directement contre le diagnostiqueur en l’absence de lien contractuel.
Délais de prescription
La vigilance s’impose concernant les délais de prescription, qui varient selon le fondement juridique retenu :
5 ans pour l’action en responsabilité délictuelle (article 2224 du Code civil)
2 ans pour l’action en garantie des vices cachés à compter de leur découverte
Ces délais sont impératifs et leur dépassement entraîne l’irrecevabilité de l’action.
Étendue de l’indemnisation
La jurisprudence récente de la Cour de cassation (Civ. 3e, 9 juillet 2020 et 17 octobre 2024) précise l’étendue de l’indemnisation possible. Le principe dégagé pour l’indemnisation en cas d’erreur sur les diagnostics, autre que le DPE compte tenu de son changement récent de catégorie, est que l’acquéreur floué doit avoir réparation de la totalité du préjudice subi. Celle-ci peut couvrir :
La perte de valeur du bien immobilier ;
Les surcoûts d’exploitation énergétique ;
Les frais de travaux d’amélioration rendus nécessaires pour atteindre l’étiquette énergétique présentée à l’achat ;
Le préjudice moral lié aux troubles occasionnés (faiblement indemnisé en pratique).
Partage des responsabilités et stratégies contentieuses
La responsabilité du diagnostiqueur
Le diagnostiqueur est soumis à une obligation de résultat concernant l’exactitude des données techniques du DPE. Sa responsabilité est caractérisée dès lors que le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l’art et qu’il s’avère erroné.
L’assurance responsabilité civile professionnelle, obligatoire pour l’exercice de la profession, constitue généralement la garantie de recouvrement la plus efficace.
La responsabilité du vendeur ou bailleur
Le vendeur ou le bailleur peut voir sa responsabilité engagée au titre du devoir de délivrance conforme et de l’obligation d’information précontractuelle. Toutefois, cette responsabilité reste limitée lorsqu’il a fait appel à un diagnostiqueur certifié et qu’il n’avait pas connaissance de l’erreur.
La responsabilité du vendeur pourra être retenue en cas de :
Affichage d’indices différents de ceux communiqués par le diagnostiqueur.
Possibilités d’action in solidum et recours subrogatoire
Une action in solidum peut être engagée contre le diagnostiqueur et le vendeur lorsque leurs fautes respectives ont concouru à la réalisation du dommage. Cette stratégie contentieuse présente l’avantage de multiplier les débiteurs potentiels et de sécuriser le recouvrement de l’indemnisation.
Le recours subrogatoire permet à l’assureur qui a indemnisé la victime de se retourner contre le coresponsable pour obtenir remboursement de tout ou partie des sommes versées.
Focus « passoires énergétiques » et impact locatif
Calendrier des interdictions de location
La loi « Climat et Résilience » instaure un calendrier progressif d’interdiction de location des logements les plus énergivores :
Depuis le 1er janvier 2025 : interdiction de location des logements classés G ;
À partir de 2028 : extension aux logements classés F ;
À partir de 2034 : extension aux logements classés E.
Ces interdictions concernent également le renouvellement du bail ou sa reconduction tacite, multipliant les enjeux économiques pour les bailleurs.
Intérêt spécifique de contester un DPE surestimé
Pour un bailleur confronté à un DPE classant son bien en catégorie G ou F, la contestation revêt un caractère d’urgence particulier. Un DPE surestimé peut conduire à une interdiction de location injustifiée et à une perte de revenus locatifs substantielle.
Dans cette hypothèse, la démonstration que le bien relève en réalité d’une catégorie énergétique supérieure permet de maintenir son exploitation locative et de préserver sa valeur patrimoniale.
Les tribunaux administratifs reconnaissent les spécificités du bâti ancien et les circonstances particulières pouvant justifier un reclassement énergétique favorable.
Prévenir les litiges : bonnes pratiques pour bailleurs et vendeurs
Sélection rigoureuse du diagnostiqueur
La prévention des litiges commence par le choix d’un professionnel qualifié. Il convient de vérifier :
La validité de la certification (limitée à 7 ans) ;
L’existence de l’assurance responsabilité civile professionnelle ;
Les références et la spécialisation du diagnostiqueur ;
L’absence de lien d’intérêt avec les différentes parties.
Un diagnostiqueur doit être certifié par un organisme agréé et référencé dans l’annuaire national des diagnostiqueurs accessible en ligne.
Audit de cohérence préalable
Avant la mise en vente ou en location, il est recommandé de procéder à un audit de cohérence entre les caractéristiques techniques du bien et les résultats du diagnostic. Cette vérification permet d’identifier d’éventuelles anomalies avant leur impact sur la transaction.
L’analyse des factures énergétiques sur plusieurs années constitue un indicateur fiable de la performance réelle du logement et peut révéler des incohérences avec la classification attribuée.
Conclusion
La contestation d’un diagnostic DPE erroné repose sur une démarche méthodique : vérification technique, expertise contradictoire avec l’assureur du diagnostiqueur, puis action judiciaire si nécessaire. L’accompagnement par un avocat spécialisé optimise les chances de succès et le respect des délais de prescription.
Face aux enjeux de l’opposabilité du DPE et aux interdictions de location progressives, agir rapidement constitue un impératif pour préserver la valeur patrimoniale de votre bien.
Pour toute question relative à la contestation d’un diagnostic DPE, n’hésitez pas à prendre contact avec mon cabinet pour étudier votre situation particulière.